David Nebreda


David Nebreda et la quête de soi

David Nebreda est un artiste vivant et travaillant à Madrid, il a été révélé en 1999 lors d'une exposition à la galerie Renos Xippas.
Après sept années de paralysie mentale, l'artiste envisage un projet de régénération, de récupération de soi. L'artiste propose une série d'autoportraits réalisés entre août et octobre 1997. Nebreda tente de photographier celui qui disparaît en lui. Comme conséquence de l'invasion de son cerveau, l'auteur a acquis la conscience de "ne pas être". David Nebreda est à la fois le modèle qui souffre et le photographe. La majorité des photos sont réalisées en solitaire et montre l'auteur après des séances d'automutilation. Mais ces blessures ne sont pas faites dans le but de prendre une photographie. "Il s'agit d'un désir de disparition"
[1], dans le but d'atteindre une double réalité déjà aperçue lors de sa maladie. Une sensation de vertige déjà connue le conduit à nouveau vers un chemin d'auto agression. Nebreda veut recréer et tenter d'assimiler une double réalité qui lui a été imposée. Sa pratique de l'auto représentation, du dédoublement est un instrument de connaissance de soi même, de ce qui est le plus proche de son identité car son problème est sa perte d'identité. "Cette réalité double bien, mais c'est une réalité strictement personnelle. Je la reconnais comme réalité double"[2].





David Nebreda, autorretratos, 29 Juillet 1989, court. Galerie Xippas, Paris.


Animé par un désir de disparition, l'auteur procède donc à des auto-agressions. Ces mutilations lui permettent d'atteindre un autre état, au delà de la douleur, comme le précise les indications d'un titre de la série Autorretratos : " Après huit séances d'incisions sur la poitrine et les épaules, il atteint à une certaine tranquillité, l'hommage et le tribut étant alors accomplis", 29 juillet 1989.
Nebreda fait l'expérience dangereuse de la perte de soi à la limite de l'anéantissement par la mutilation, pour ensuite se reconstruire et réincarner son identité. Le corps est le lieu de la maladie et de la souffrance. "le corps porte la mort"
[3]. Le corps de David Nebreda est malade il est perçu comme un fardeau, en le mutilant il arrive à le faire "disparaître" et tente en vain de s'en débarrasser. La douleur disparaît car la sensation disparaît et ainsi le corps se fait oublier. L'œuvre de David Nebreda montre bien, par le rituel de la douleur, comment prendre conscience de son corps et de ses limites pour les dépasser, pour se dédoubler et atteindre une autre réalité. La perte de corps de David Nebreda est réalisée dans le but de fuir la réalité physique, pour trouver l'essence de l'homme, le lieu de son identité dans un autre univers qui n'est plus que conscience. David Nebreda photographie son anéantissement et entend reconstruire son humanité, paradoxalement la mutilation est pour lui un instrument de connaissance de soi même. Il y a ce paradoxe de la mortification d'ordre physique afin d'atteindre une réalité d'ordre psychique.
On retrouve cette même volonté de disparition et de perte du corps dans les cas d'anorexie et de boulimie, le corps est alors l'enjeu d'une souffrance mentale et c'est par le rejet du corps que s'exprime cette douleur.
Le corps haï de l'anorexique est sujet à des actes de torture, il y a une recherche de la souffrance dans le but de contrôler le corps et de s'en libérer. Lors du jeûne ce sont les modifications du métabolisme qui font que la faim, intense et douloureuse durant les premiers jours, disparaît presque. Un état d'euphorie, de détachement lui succède, l'ivresse du jeûne engendre une impression de lucidité et de clarté mentale, l'intérêt se porte alors sur les activités intellectuelles, la spiritualité. Le corps qui va s'affaiblissant se fait oublier. La solution au problème de se sentir mal dans sa peau s'exprime par le corps et contre le corps, il y a comme une volonté de transférer une souffrance dans la chair, en supprimant cette chair, la souffrance disparaît. La boulimie
[4] quant à elle se traduit par une haine de soi et de son corps. La personne peut alors se dédoubler durant une période de fébrilité, et être sujette à une perte de contrôle échappant à toute volonté. Cette perte de contrôle se traduira par une prise excessive de nourriture. La personne est ensuite prise de remords et de sentiments de culpabilité à l'égard de ce moment de jouissance et d'abandon. Il y a une quête de pureté qui s'accompagne d'un rejet de toute corporéité car le corps est vécu comme un objet de dégoût. Ce rejet du corps est centré chez les femmes sur les seins et les hanches car la sexualité est refusée et s'accompagne d'une angoisse des relations. L'individu est mal dans son corps et il tente de supprimer ce fardeau qui est le lieu de sa souffrance et aussi, qui en est la cause.
Le corps est considéré comme imparfait, dans la publicité, c'est cette "impuissance" du corps et ses limites qui sont combattues. Les produits vantés dans les publicités ne servent qu'à pallier les déficits du corps. L'eau minérale procure une forme qui libère de la corpulence et de la grossière réalité corporelle. La notion de forme sert à affiner, raffermir, amincir et finalement à "décharner". "Il ne s'agit pas de conquérir le corps mais de le supprimer"
[5]. La société met en place les moyens de se décharner, elle nous met dans l'obligation de nous conformer à des modèles corporels artificiels qui aboutissent à une perte du corps. Perte du corps réel trop limité, trop imparfait, au profit d'un corps de synthèse. En même temps, la société de l'hyper communication provoque des angoisses et des troubles relationnels. Quand ce corps ne peut se conformer aux modèles véhiculés par les médias cela peut être la cause de la boulimie ou l'anorexie.
"Il n'y a pas de solution corporelle. L'idéal serait de se débarrasser de cet instrument qui contracte les microbes et conduit les virus. Il faudrait se tenir à la plus grande distance possible de cet habitacle, s'abstraire de ce corps porteur de mort et par lequel je me tue"
[6].
[1] Catherine Millet, "David Nebreda et le double photographique", Art Press, mars 2000, p. 51.
[2] Ibid.
[3] Patrick Baudry, Le corps extrême, p. 21.
[4] Gérard Apfeldorfer, Anorexie, boulimie , obésité, Paris, Flammarion, 1997.
[5] Idem p.52.
[6] Idem p.35.
Yann Perol